”Up !” Russ Meyer
Un univers-surface . Avec BP l’oeuvre n’a plus d’antécédent, de temps préalable; simultanée elle se tient toute entière dans sa manifestation. La vertu essentielle de cette attitude est d’abord de nous émanciper de l’ épaisseur du monde. Abandonnant tout mystère, toute profondeur, pour produire en quelque sorte des prodiges, accomplir une prouesse, celle d’alléger le monde de sa pesanteur, de toute teneur symbolique, par des images moins innocentes qu’elles ne le paraissent. Plus de monde, comme aboli, il n’en reste que son sigle tel sa dernière relique, ainsi que son ultime souffle, sa motricité. BP donc, un clin d’oeil avant la fin du monde, une complicité avec une apocalypse joyeuse, l’adhésion déroutante, car sans emphase avec: le réel et ses signes. D’autres appelleront cela de l’insolence.
En cela la singularité de BP réside dans sa capacité à n’occuper que la zone de ses seuls effets, a habiter les surfaces. A la place d’une esthétique du déclin, et sa conscience tragique, BP propose la déclinaison rigoureuse d’un monde achevé, essaime une encyclopédie (un baril, une rambarde, un bidon…), un répertoire froid et énergique à la fois, dont la circularité est la vitesse, et dont le contenu est encore sa vitesse, toujours la vitesse.
“Happy-end de l’aura “. Dès lors BP met en place des ready-made libérés de leur valeur moderne, des ”easy-made” en quelque sorte, sans crispation, sans déconstruction démonstrative ; des ”easy- made” qui sont leur stricte monstration. En fait, BP, c’est l’intuition d’une posture joyeuse, la décision d’une évidence, la troublante adhérence au donné, telle quelle.
Si l’oeuvre a depuis longtemps perdu son aura d’origine, avec BP, le quotidien, en retrouve une, inattendue, prise dans le filet de ses métaphores routières, tel le plaisir d’un excès de vitesse, d’une griserie esthétique pour l’impertinente beauté des circuits.
”Moteur”. BP , c’est donc tout sauf la mise en place d’un simple mécanisme, plus qu’un éloge convenu au machinisme. En vérité BP développe un dynamisme qui manifeste le surplus d’énergie et de sens que véhiculent, malgré eux les icônes de la compétition et des motricités quotidiennes, en isolant la vitesse pour faire du mouvement la condition même de l’apparaître. Si comme le remarquait Godard, “le cinéma c’est la vérité 24 fois par seconde”, c’est l’extrême motricité qui crée l’inertie de l’instant, en sorte que ces métaphores de la vitesse se cristallisent en extases contemporaines. Leur neutralité apparente esquisse, comme pure énergie visuelle, un débordement, une accélération de sens. Avec BP, l’oeuvre habite son accélération. Elle n’est pas un cercle tautologique, mais une circulation, forcément dynamique.
“Émanation contemporaine”. Peut-être est-il donc temps de prendre la mesure de ces éléments apparemment froids (un bidon d’huile, une pompe à essence, un capot de voiture…) qui possèdent cependant leur propre émanation, au sens où Baudrillard remarquait que “les ailes des voitures sont notre allégorie moderne” dans le système des objets. Comme Kerouac a chanté la route et la magie de l’asphalte, BP développe à sa façon, plus qu’un catalogue de gestes et d’attitudes, une geste, la poursuite d’une intuition condensée dans l’échappée du monde et l’aura des routes.
En cela BP continue l’aventure du rêve Warholien, ce rêve de la machine, mais cette fois, c’est l’oeuvre elle-même qui est possédée par son devenir machine, et le moteur lui-même qui devient fin en soi. La fonction est recyclée comme finalité, mais non platement, en vertu de l’excès de la plus value insolente que toute reprise produit. L’oeuvre, cette mécanique qui songe… BP met en place un onirisme contemporain, c’est à dire sans sujet et sans fantasme; l’onirisme n’est plus que la vapeur du monde lui-même, comme la condensation sur l’ asphalte.
“Échappée belle”. Affirmer le devenir- station- service de la planète. Tel bidon devient autant l’emblème d’une posture que la monade d’un univers, l’essence concentrée du monde.
Avec BP il n’y a rien à voir. Circulez.
Ou plutôt si, la circulation elle-même.
Frank Perrin